« La résilience des villes passe par une comobilité douce et partagée. »
Il se définit lui- même comme « archibiotecte », porteur d’une approche hybridant architecture, biologie et technologies de l’information et de la communication. Son leitmotiv ? Transformer les villes en écosystèmes, les quartiers en forêts et les édifices en arbres. Diplômé de l’Institut supérieur d’architecture de Bruxelles en 2000, il décide dès le début d’utiliser son métier pour proposer de nouvelles solutions, durables. S’il a tout d’abord attiré l’attention à l’étranger, son projet pour Paris 2050 a montré l’application de ses idées dans nos villes aux fortes contraintes patrimoniales et urbanistiques. Rencontre avec l’un de ceux qui bâtissent la ville de demain.
Face aux défis actuels, vous proposez une ville de symbiose entre l’humain et l’environnement. Comment la concevez-vous ?
Après avoir construit la ville sur la nature, puis la ville sur la ville, l’enjeu est désormais de rapatrier la nature au cœur de la cité. Dans cette perspective, je conçois mes projets selon quatre piliers. D’abord la décentralisation énergétique, qui passe par des bâtiments à énergie positive utilisant des matériaux naturels, intégrant les énergies renouvelables – éolien, solaire, thermique – et recyclant leurs déchets. Le deuxième, c’est l’agriculture urbaine. On aborde la végétalisation sous l’angle nourricier, en ramenant des lieux de production sur les bâtiments, donc au plus proche des lieux de consommation. Ensuite, il y a la dimension sociale. On aime rappeler qu’une ville écologique nécessite la construction d’un projet commun auquel tout le monde adhère. Aujourd’hui, dans nos phases de conception, on travaille avec les riverains. Ils nous disent ce qui leur manque, leurs attentes. C’est essentiel si l’on veut que la ville reflète leurs envies. Enfin, le dernier pilier concerne la mobilité.
Justement, sur ce point, comment concevez-vous les déplacements dans cette ville densifiée, où services, loisirs, lieux de vie et de travail sont à proximité immédiate ?
Si l’on veut arrêter l’étalement urbain à l’horizontale, cela implique d’abandonner la conception de la ville comme corps humain, avec ses organes complémentaires. Cela a engendré des besoins de raccordement, donc des artères vouées au tout automobile. Aujourd’hui on voit une marche arrière, les voies sur berges rendues aux piétons, par exemple, ou le Grand Paris Express, qui illustre ce souhait de redensifier, de relier les pôles secondaires. De fait, il y a une explosion de la demande de transports en commun, et de mobilité douce en général. Bien sûr, lorsqu’on parle de raccourcir les distances entre lieux de vie, de loisirs, de travail, de consommation, de production, cela génère parfois la crainte de l’autarcie, liée à l’idée d’un « tout piéton ». Mais je pense que chaque quartier va valoriser sa propre identité et qu’il y aura toujours cette envie de bouger. Et les transports en commun seront la réponse attendue pour relier. Aujourd’hui, par exemple, pour notre projet d’immeuble de bureaux dans le Port du Rhin, à Strasbourg, on essaie de développer du transport doux avec des navettes fluviales. Je suis convaincu que tous ces transports en commun, qu’ils soient souterrains, aériens, fluviaux, vont se développer de plus en plus.
« Pour des villes 100 % compatibles avec l’accord de Paris. »
Depuis 2018, la chaleur produite par le tunnel de la ligne 11 du métro est récupérée et acheminée vers une pompe à chaleur, installée dans un immeuble du 4e arrondissement. Ce dispositif innovant offre des résultats très encourageants, puisqu’il permet de couvrir en moyenne 35 % des besoins en chauffage. Signataire de la charte du Plan Climat de Paris, la RATP s’est associée à Paris Habitat, gestionnaire de ce bâtiment de 20 logements, pour déployer ce premier projet.
« Cela illustre notre capacité à innover au service de la ville durable. Il s’agit d’inventer de nouveaux modèles pour que villes et territoires deviennent bas carbone. Les solutions seront multiples, cette expérience en est un exemple. Nous avons la conviction que le temps est maintenant à l’action, pour des villes 100 % compatibles avec l’accord de Paris. »
En 1999, Dickson Despommier théorise la ferme verticale. Ce professeur en santé environnementale et microbiologie à l’université Columbia de New York propose d’exploiter les surfaces verticales des tours pour cultiver, sur une faible emprise au sol, des quantités significatives de fruits et légumes. Avec l’avantage de réduire considérablement les distances entre lieux de production et lieux de consommation. Cette piste pour réintroduire la nature nourricière en ville se concrétise à travers le monde : première ferme verticale inaugurée en 2012 à Singapour, ouverture en 2016 du site AeroFarms au New Jersey, projet de « tour vivante » à Rennes, etc. L’idée est séduisante et ne présente à priori que des avantages : répondre au manque de terres cultivables et, par rebond, réduire les impacts de l’agriculture intensive, diminuer l’empreinte écologique d’un quartier, améliorer l’air en ville, amener une agriculture bio et de proximité, réduisant ainsi les impacts liés au transport des aliments vers les centres urbains… Et la liste n’est pas exhaustive.
Vincent Callebaut, qui a travaillé avec le professeur Despommier, intègre ce concept de fermes urbaines à ses projets. Selon lui, il s’agit de « valoriser des espaces jusque-là déconsidérés : les toits, les façades. Via la permaculture (1), l’aquaponie (2), les serres, les balcons potagers. Cela crée de nouveaux métiers et apporte de la convivialité. Les agriculteurs urbains vont assurer la production et inviter les copropriétaires à participer à la récolte. Nous avons calculé qu’un immeuble de 100 logements peut viser la production de 1 kilogramme de fruits et légumes par habitant, par semaine, ce qui est loin d’être négligeable ! »
(1) La permaculture est un mode d’agriculture respectueux de la biodiversité et de l’humain et consistant à imiter le fonctionnement des écosystèmes naturels.
(2) L’aquaponie est la culture de poissons et de plantes ensemble dans un écosystème construit en circuit fermé.