Quelle est votre définition de l’innovation ? En quoi diffère-t-elle des notions de progrès ou d’invention ?
X. P. Le progrès, c’est la marche en avant, la volonté continuelle de progresser, d’évoluer. C’est une démarche désintéressée, dans laquelle personne, individu ou organisation, ne s’approprie les avancées. On parle ainsi de progrès de la connaissance parce que cette connaissance est partagée par tous. L’invention est davantage le fait d’une organisation ou d’un individu qui met au point quelque chose de nouveau, que ce soit un objet ou une façon de faire.
L’innovation commence quand cette invention, commercialisée, dégage des bénéfices. Innover, c’est changer et changer pour survivre, pour créer de la valeur. Il existe un lien fort entre innovation et concurrence. Tous les organismes ont besoin de ces gains pour réinvestir et anticiper les changements à venir.
Si l’innovation est liée à la notion de concurrence, comment peut-elle être mise au service du bien commun ?
X. P. Les entreprises auront toujours besoin d’innover pour survivre, mais elles évoluent aujourd’hui dans un contexte nouveau. L’accélération des connaissances, la prégnance d’Internet, la prise de conscience de nouvelles questions, environnementales, notamment, font que l’on ne peut plus innover comme avant. Les innovateurs doivent s’interroger sur le sens de ce qu’ils font et sur leur responsabilité.
Certains le font déjà, en intégrant la question de la préservation de l’homme et de son environnement dans la stratégie de leur entreprise. Mais c’est encore trop rare. L’une des clés du changement, pour une innovation responsable, est donc certainement d’apporter à nos étudiants des éléments pour penser ces sujets, développer une démarche critique, se questionner sur les enjeux. Depuis des décennies, l’innovation telle que nous l’apprenons et l’enseignons est synonyme de gloire, de richesse, de contrôle. Les philosophes antiques diraient que nous sommes dominés par ces passions.
"L'éductation des innovateurs de demain est l'une des clés du changement."
Le contexte actuel ne porterait-il pas plutôt au pessimisme ?
X. P. Il est vrai que le bien commun peut sembler un horizon lointain ! Si l’on prend l’exemple des villes, qui ont des problématiques communes, de population, de transport, de santé, de congestion, on voit bien qu’elles travaillent chacune de leur côté. Il y a bien des rencontres entre métropoles du monde mais pas de réelle mise en commun des moyens académiques ou des financements sur les sujets d’innovation. L’exemple du vaccin contre le Covid-19 est encore plus éclairant. Ici, le bien commun aurait dû être une évidence.
Pourtant, nous avons échoué à organiser une réponse planétaire qui serait restée dans les manuels d’histoire comme une belle démonstration de ce que l’humanité était capable de faire. Mais je veux rester optimiste, il y a une vraie demande de philosophie et de réflexion chez les étudiants brillants auxquels j’enseigne et qui sont les innovateurs de demain. On a trop longtemps opposé science et philosophie, il est temps de renouer avec la sagesse grecque !