Pourquoi la ville, d’ordinaire attractive, peut-elle aussi devenir un terreau d’exclusion ?
V.B. : Avant d’exclure, la ville attire. Enquête après enquête, on voit bien que les gens en situation de rue, les jeunes en difficulté, les migrants y voient une promesse possible d’intégration et pensent pouvoir trouver une place dans cet écosystème de la densité.
L’exclusion commence quand la ville ne veut pas voir ces gens, n’arrive pas ou plus à les prendre en compte dans les politiques publiques.
Leur première problématique, est-ce celle du logement, de l’emploi ?
V.B. : Du logement. Beaucoup arrivent avec un bout de solution : une colocation, un canapé chez un cousin, un matelas chez un oncle en foyer. Quand ces solutions lâchent, les difficultés surgissent. On voit des femmes en situation de rue parce qu’elles sont tombées enceintes et ne pouvaient pas continuer à être hébergées. Chaque soir, 100 000 places d’hébergement, dont 55 000 à l’hôtel, sont proposées en Ile-de-France, mais la question est de sortir de l’hébergement pour aller vers le logement.
Quand on n’a pas de lieu à soi, tout est difficile (transport, hygiène…). Lors des premières semaines du confinement de mars 2020, quand l’écosystème de la ville s’est gelé, les personnes en situation de rue n’avaient plus accès à l’aide alimentaire, au surplus des poubelles, aux repas donnés par les restaurants, aux sanisettes publiques.
"Nous formons une seule et même société et il est important de "rendre visible" ces personnes que nous côtoyons chaque jour."
Quelles actions concrètes mettez-vous en place et avec quelle efficacité ?
V.B. : Le Samusocial aura bientôt 30 ans. Nous avons été créés pour faire face à l’urgence sociale, mais aujourd’hui nous allons plus loin, pour développer des solutions pérennes, globales. L’une des clés, c’est d’ « aller vers ». Nos équipes mobiles, pluridisciplinaires cherchent à créer du lien, à proposer une solution à chaque personne, dans le respect de sa dignité. Comme tous les acteurs de la solidarité, nous cherchons à nous écarter de systèmes standardisés et d’une approche massive qui ne fonctionne pas.
Mais nous ne pouvons pas tout faire seuls, nous travaillons beaucoup avec des partenaires, comme la RATP et son équipe de Recueil Social qui fait sous la ville ce que nous faisons dans la rue (voir l’encadré ci-dessous). Pour chaque public, femmes, étrangers en situation irrégulière, personnes très âgées dépendantes, ou atteintes de troubles psychiques, ce qui est le cas d’un tiers des sans domicile fixe, nous sommes en lien avec des partenaires spécialisés.
Inclure, c’est aussi apprendre à voir ceux qui nous entourent ?
V.B. : Nous formons une seule et même société et il est important de « rendre visibles » ces personnes que nous côtoyons chaque jour, en intégrant leur parole. Les personnes accompagnées par le Samusocial sont en train d’élaborer, au sein de ce que nous appelons « le débat permanent », des propositions pour la campagne présidentielle.
Elles nous poussent à réinterroger notre action en mettant en avant des thèmes que nous n’aurions pas nécessairement proposés, comme celui de l’écologie, porté par un groupe de travail qui vient de remporter un appel à projet pour la création d’un potager partagé.
Depuis 1994, les équipes du Recueil Social de la RATP, une soixantaine d’agents volontaires, vont au-devant des personnes sans abri dans le métro pour les orienter, si elles le souhaitent, vers des services d’accueil et d’accompagnement. La mission de lutte contre la grande exclusion de la RATP dispose d'un budget de 6 millions d'euros par an.