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Rencontre

Rencontre avec Magali Reghezza-Zitt

Géographe, spécialiste des vulnérabilités urbaines, Magali Reghezza-Zitt est maître de conférences à l’École normale supérieure et membre du Haut conseil pour le climat.

Les villes sont-elles plus vulnérables aujourd’hui qu’hier ?

M.R.Z. Les villes ont toujours été des espaces à risques. Ce qui a changé, ce sont les vulnérabilités, comme celles liées à la dépendance à des réseaux critiques tels que l’électricité ou les transports, consécutifs à l’évolution des pratiques urbaines.

La forme urbaine elle-même génère des fragilités nouvelles : la dissociation des grandes fonctions – entre lieux de travail et lieux d’habitation – a créé des chaînes de risques et des effets domino. Ce qui est très nouveau aussi, c’est que dans ces ­nou­­velles crises systémiques, ceux qui ont à gérer la crise sont eux-mêmes ­victimes et exposés, parfois à un risque vital. 

Les services urbains, et en particulier les services de mobilité, ont-ils intégré ces évolutions ?

M.R.Z. Certaines crises ont marqué durablement l’espace et les services urbains. Les attentats, par exemple, ont entraîné des transfor­mations matérielles dans la ville : les ­poubelles classiques ont disparu, on ne peut plus mettre un sac sous son siège, la vidéosurveillance s’est ­renforcée. Quant aux opérateurs de transports, ils sont par exemple de plus en plus sensibilisés au risque pluvial ou sanitaire.

Ces acteurs incontournables de la ville jouent désormais un rôle crucial, ils sont devenus une vraie composante de la résilience urbaine. Pendant la crise sanitaire, la RATP a continué à assurer le service public de transports, indispensable pour acheminer les travailleurs des secteurs essentiels, tout en protégeant ses employés chargés de faire rouler les trains. 

Comment anticiper ce qui est par nature imprévu ou inimaginable ?

M.R.Z. La réponse est d’abord humaine. L’inimaginable est surtout un impensé ! Qui aurait imaginé Paris confiné, à l’arrêt, avec des animaux dans les rues ? Qui aurait pensé que le terrorisme frapperait à une telle échelle le Bataclan et les rues de Paris ? Qui pense aujourd’hui Paris inondé ? Pour mieux anticiper, les villes doivent repérer les signaux faibles, en s’appuyant sur les acteurs de terrain, entreprises, réseaux… 

Ce sont eux qui détiennent l’expertise métier. Il faut revaloriser le savoir-faire des conducteurs de bus, chauffeurs de métro, électriciens qui voient, avant tout le monde, évoluer les besoins et les attentes et émerger des tensions. Ils sont partie prenante de la résilience de la ville. On croit la ville stable, immuable ; elle est en mouvement perpétuel. 

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« Les risques qui affectent la ville ne sont pas nouveaux mais ils sont devenus systémiques. »

Magali Reghezza-Zitt
Maître de conférences à l’École normale supérieure et membre du Haut conseil pour le climat

Peut-on dire qu’il existe des risques, des fragilités qui soient propres aux villes ?

M.R.Z. Même si la ville est d’abord une réponse aux risques qui existaient à la campagne, elle a en effet créé des fragilités spécifiques. Elle concentre biens et richesses, ce qui accroît le potentiel de dommages qui peuvent la toucher. De plus, la ville moderne a fait naître de nouvelles « chaînes de risque ». On l’a vu avec le Covid.

Le foncier étant cher à Paris, les gens les plus éloignés dépendaient des transports en commun pour aller travailler et ont donc dû les emprunter malgré un contexte sanitaire où la distanciation sociale était de rigueur. Les risques qui affectent la ville ne sont donc pas nouveaux, mais les organisations territoriales, les façons d’habiter, de travailler, de se déplacer, génèrent de nouvelles vulnérabilités, des risques plus composites, plus systémiques aussi.

Les risques n’ont pas changé de nature mais d’intensité. Avec quelles conséquences pour la ville ?

M.R.Z. La ville est désormais exposée à des perturbations « macro », les événements climatiques exceptionnels sont plus intenses, plus fréquents, plus précoces, plus longs, etc. Il y a toujours eu des vagues de chaleur mais l’intensité que nous avons connue cet été est nouvelle et elle met les systèmes sous pression.

Ces catastrophes catalysent et accélèrent les évolutions. On l’a vu avec le déploiement de pistes cyclables depuis la crise sanitaire. On le constate aussi dans le nouveau rapport qu’ont les citadins à l’espace public et à la nature en ville. À qui appartient le trottoir ? Comment réaménager ? Mieux partager ?

Qui peut arbitrer ces questions ?

M.R.Z. La gouvernance des villes est en pleine reconfiguration, avec des acteurs publics qui montent en puissance (les métropoles, les intercommunalités) mais aussi des acteurs privés ou parapublics qui endossent de nouveaux rôles et un foisonnement de nouveaux acteurs, associations, fédérations d’usagers, syndicats, corps intermédiaires…

Tous sont parties prenantes d’un puzzle qui doit permettre à la ville de s’adapter de façon consciente et négociée à la survenance de futures crises.

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