Il y a longtemps que l’expérience du numé-rique s’est développée de façon massive dans nos villes. On l’a bien vu avec la crise du Covid-19, le numérique est entré très profondément dans nos pratiques person-nelles et professionnelles comme dans celles des acteurs publics. Dès les années 2000, des études sur la mobilité que j’avais pu mener avec la RATP avaient montré combien l’usage du mobile avait modifié la sociabilité des jeunes, qui se déplaçaient désormais en « bancs de poissons ».
Cette évolution n’est pas le fruit d’une planification de type smart city : si l’on va voir les gens dans la rue pour leur deman-der qui sont les acteurs du numérique qui ont changé leur expérience de la ville, ils évoquent spontanément Uber, Le Bon Coin ou Pokemon Go, pas ces acteurs de la smart city que sont les énergéticiens, les réseaux de communication ou tous ceux qui « vendent » ce concept.
En tout cas, je considère que ce n’est pas un discours urbain mais un discours d’offreur de technologies qui peut alimenter le fan-tasme d’un territoire enfin gérable, optimisable, comme un système compréhensible dans son ensemble. La notion de smart city nourrit l’idée que la chose publique se réduit à un ensemble de fonctions sur un territoire. Le problème de cette vision de pure gestion, qui était celle des premières smart cities coréennes, c’est qu’elle oublie que la ville organique est un lieu de rencontres, de vie, d’initiatives.
Paris, cette ville hyperdense, est un espace où l’on se croise et se « frotte ». La smart city, sans intégrer cette conception, c’est l’ennui ! La période du confinement nous a montré à quel point l’espace de la ren-contre, de la mobilité, de la densité, peut nous manquer.
« Le confinement a montré à quel point l’espace de la rencontre, de la mobilité, de la densité, peut nous manquer. »
Je pense que la transparence est nécessaire. Qui procède aux arbitrages ? Qui décide des choix d’investissement ? Ces dispositifs produisent-ils ce que l’on attend d’eux ? Distribuent-ils de la connaissance ? Du pouvoir ? La possibilité de mieux « sentir » sa ville ? Accroissent-ils notre capacité à être des citoyens ? À prendre des initiatives ? Dans ce registre, je trouve intéressantes les expériences tournées vers le self data dans lesquelles tout un chacun peut se servir de ses data en les croisant avec des données publiques.
Je suis convaincu que les systèmes numériques doivent faire l’objet de codé-cisions. On le voit bien avec les discussions autour des applications de tracking liées au Covid-19. La data for good qu’on nous pro-met peut avoir un coût démocratique élevé en termes de vie privée. Soyons conscients que ce que nous accepterons d’installer aujourd’hui ne disparaîtra jamais.
Oui, ce projet s’attache à refonder notre relation à l’avenir de façon collective, participative. Les citadins veulent écrire le devenir de leur ville, réinventer les territoires urbains pour mieux y vivre. Par exemple, notre programme la Fabrique des mobilités collecte des centaines de « fragments » du futur (extraits de films, de bandes dessinées, de livres)
proposés par les participants avec l’objectif d’utiliser ce maté-riau issu de la fiction, des utopies, des arts et du design pour enga-ger la discussion, renouveler la vision et déboucher sur des projets concrets (urbanisme, végétalisation, mobilité, etc.). L’idée est de dire des choses nouvelles avec des mots nou-veaux pour favoriser l’innovation.