La ville et l’industrie ont toujours entretenu des relations ambiguës basées sur un effet d’attraction-répulsion. À partir de la révolution industrielle, leurs liens se sont distendus tout en restant étroitement intriqués. « Au xixe siècle, l’activité industrielle a façonné le paysage urbain, explique Bernard Gauthiez, architecte et urbaniste, professeur à l’université Lyon 3. De nouveaux quartiers ont vu le jour, mêlant habitations, ateliers et petites usines. Puis, les unités de production ont nécessité de plus en plus de surface. Et l’industrie s’est retrouvée en périphérie des villes. » L’apogée de ces infrastructures imposantes se situe dans les années 1950.
Durant les décennies suivantes, la tension s’accentue car les usines sont pointées du doigt en raison de la pollution et des nuisances qu’elles entraînent. « Dans les années 1960, poursuit Bernard Gauthiez, l’urbanisme par zonage se met en place. C’est la création des zones industrielles, modèle toujours dominant aujourd’hui. » Les usines s’éloignent des villes et finissent même par s’installer à l’autre bout du monde sous l’effet de la mondialisation. De plus, plusieurs drames emblématiques confirment la rupture. L’explosion d’AZF à Toulouse (2001) ou l’incendie de Lubrizol à Rouen (2019) imposent une conclusion évidente : cités et industries doivent prendre leurs distances.
La pandémie de Covid-19 et la crise sanitaire viennent brouiller les certitudes. Très vite, des discours se font entendre sur la nécessité de réindustrialiser les pays européens pour limiter leur dépendance en matière d’approvisionnement. À condition de le faire en limitant au maximum les nuisances et en reconnectant harmonieusement les usines au tissu urbain lorsque cela est possible en fonction de la nature des activités industrielles. Il s’agit de passer de la ville industrielle d’antan à la ville productive, capable d’anticiper les pénuries, de proposer des services utiles tout en respectant son environnement. Et, dans cette évolution, l’industrie joue un rôle décisif, notamment grâce à sa capacité d’innovation et de réinvention.
Depuis 2015, le groupe RATP mène, avec le soutien d’Île-de-France Mobilités et de la Commission européenne, une véritable révolution industrielle afin de convertir sa flotte de bus à l’électrique et au biogaz, une transformation qui contribue à la décarbonation de la ville et à sa transition énergétique. À cette occasion, elle repense sa présence industrielle. Elle valorise ses sites, désormais peu polluants, en favorisant la mixité des usages des bâtiments avec des crèches, des commerces, des logements en superposition de ses installations industrielles pour limiter l’étalement urbain. Autre volet d’une stratégie industrielle responsable : ses infrastructures intègrent les enjeux de l’économie circulaire et du recyclage des déchets comme c’est notamment le cas sur ses sites de remisage des tramways. Désormais, industrie et villes regardent ensemble dans la même direction. Un exemple emblématique de cette entente cordiale : à Toulouse, sur l’ancien site d’AZF, les autorités locales n’ont pas construit de logements. Elles ont implanté une filière industrielle de pointe consacrée à la recherche et aux traitements en oncologie. Tout un symbole.