La réintégration de la nature en ville est désormais affaire sérieuse. Le concept de forêt urbaine, théorisé par le botaniste japonais Akira Miyawaki, inspire. La méthode est précise. Sur une parcelle de 200 mètres carrés minimum, la densité doit être trois fois supérieure aux forêts classiques et les arbres issus de 22 essences, toutes locales. Ces conditions garantissent d’impressionnants résultats : ces forêts grandissent jusqu’à dix fois plus vite et contiennent une biodiversité cent fois plus riche que leurs traditionnelles consœurs. Surtout, elles peuvent être plantées dans toutes sortes d’environnements urbains.
Fasciné par ce modèle, l’éco-ingénieur Shubhendu Sharma a créé Afforestt, une entreprise indienne qui propose de créer ces minuscules forêts. Un succès. À Singapour, en Iran… Plus de 34 villes ont tenté l’expérience. Daan Bleichrodt, fondateur de l’ONG néerlandaise IVN, porte la démarche aux Pays-Bas. Depuis 2015, il fait pousser des mini-forêts sur d’anciens parkings et terrains en jachère, avec l’ambition de reconnecter la ville à la nature et de créer du lien social. Ces tiny forests seront bientôt 100 à travers le pays, de nombreux élus locaux étant séduits par leur cercle vertueux.
À Paris aussi, l’idée fait son chemin. Devant l’Hôtel de Ville et la gare de Lyon, derrière l’Opéra Garnier et sur les voies sur berges, quatre forêts urbaines devraient voir le jour. Dans un futur plus proche, les abords de la tour Montparnasse vont être transformés en petite forêt. Le projet, retenu en juillet, est celui du paysagiste Michel Desvigne. Ce dernier a notamment conçu, en 2009, une forêt de 3 600 mètres carrés dans un quartier d’affaires tokyoïte. Une réussite, qui apporte de la fraîcheur dans une ville réputée pour ses températures élevées. Car l’engouement va bien au-delà d’une mode paysagère. Face aux îlots de chaleur, la fraîcheur dégagée par l’évapotranspiration des arbres ramène de la qualité de vie en ville. Et les espaces de pleine terre contrebalancent l’imperméabilisation des sols, autre problématique urbaine.
Comme le souligne Michel Vennetier (1), spécialiste de l’écologie forestière, « la résilience des villes face aux changements climatiques dépendra grandement de leur végétalisation : car + 7 °C en été à la campagne, c’est + 10 °C en ville. Il faudrait couvrir 10 à 15 % du territoire urbain pour que l’effet soit visible » (1). Bulle de fraîcheur, biodiversité, qualité de l’air : réintroduire la forêt en ville apparaît aujourd’hui très pertinent et les solutions vont jusqu’à investir la verticalité. Ainsi du Bosco Verticale de l’architecte Stefano Boeri, deux tours de logements inaugurées à Milan en 2014. Les profonds balcons de ces tours hautes de 110 mètres et 76 mètres accueillent 20 000 plantes et arbres, l’équivalent de 2 hectares de forêt. Un prototype qui encourage d’autres villes – Toulouse, Villiers-sur-Marne, Nanjing, Utrecht, Lausanne – à franchir le pas. Dans un avenir proche, les forêts investiront peut-être le haut des immeubles, poussant encore la logique des toits végétalisés.
Selon les essences, et donc la densité des feuillages, la création d’ombre varie et peut faire gagner jusqu’à 2 oC. La preuve en chiffres :
80%
d'ombre au sol pour un platane ou un marronnier
60%
d'ombre au sol pour un érable ou un tilleul
40%
d'ombre au sol pour un sophora
La plantation massive d’arbres est positive pour l’environnement, donc pour notre santé. Les faits sont de plus en plus documentés. Un rapport du cabinet Asterès montre qu’un grand arbre peut « avaler » jusqu’à 5,4 tonnes de CO2 par an, ses feuilles emprisonnant les particules fines (2). Autre exemple : augmenter de 10 % les espaces verts réduirait de 94 millions d’euros les dépenses de santé, en diminuant les cas d’asthme et d’hypertension. La ville de New York a même mesuré le bénéfice écologique de chacun de ses arbres. Retenue des eaux pluviales, énergie conservée, polluants atmosphériques éliminés et réduction du dioxyde de carbone ont été évalués puis convertis en valeur économique. Car la végétalisation des villes est aussi un nouveau marché.
Les experts rappellent toutefois qu’elle ne réglera pas, à elle seule, la crise climatique. À tout le moins, elle propose de nouveaux usages et suscitera sans doute l’envie de parcourir la ville autrement. Une cartographie renouvelée des déplacements pourrait ainsi en découler avec, pourquoi pas, de nouveaux types de dessertes, privilégiant les modes calmes et doux – navettes autonomes, vélos – en écho à ces espaces forestiers.
(1) Michel Vennetier, We demain, septembre 2019.
(2) Les espaces verts urbains, lieux de santé publique, vecteurs d’activité économique, Asterès (cabinet d’études et de conseils économiques), 2016.
Entre le périphérique ett le bois de Vincennes se niche désormais la toute première forêt primitivee parisienne. Un projet mené par l’organisation écologiste Reforest’Actionon aux côtés de la Ville. Au printemps 2019, 200 habitants ont ainsi planté 2 000 arbres de 25 essences différentes sur cette parcelle de 700 mètres carrés. Chênes, houx, tilleuls, merisiers créeront sous peu un écosystème très dense. Hormis un léger arrosage la première année, ces forêts primitives grandissent sans aucune intervention humaine. Ici, la vocation n’est pas d’accueillir de futurs promeneurs, mais de rendre le lieu à la nature et créer un véritable foyer de biodiversité. Un premier essai parisien qui sera sans doute dupliqué dans les prochaines années, la Ville cherchant d’autres sites d’accueil pour développer ses espaces naturels.