Qualité de villes, le magazine du groupe RATP qui donne à voir LA VILLE AUTREMENT.

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Rêver la ville

Les nouvelles frontières de la ville

La France est l’un des champions européens de l’étalement urbain(1). Dans ce contexte, où sont aujourd’hui les limites de la ville et quel est son futur ? La réponse tient moins à une opposition entre centre et périurbain qu’aux rapports complexes et mouvants qu’entretiennent différents pôles, hypercentre, quartiers périphériques, ou lointains bourgs satellites.

Depuis plusieurs décennies, de nouveaux espaces situés en couronne des pôles urbains se sont développés un peu partout en France. Ces zones dites périurbaines, sont marquées par l’étalement de l’habitat. Constituées de lotissements ou de zones pavillonnaires agrégés autour d’un bourg ancien, elles se sont affirmées comme les grandes gagnantes de la croissance démographique en France : près de 95 % des 1,2 million d’habitants supplémentaires recensés dans l’hexagone entre 2013 et 2018(2) résident en zone périurbaine. Plus récemment, les villes moyennes sont sorties renforcées de la crise sanitaire, attirant dans leur orbite une population d‘actifs à la recherche d’une qualité de vie que les très grands centres métropolitains peinent à maintenir.

Toutefois, ces citadins qui ont quitté la ville n’ont pas toujours choisi de partir : la hausse des prix du foncier en centre ville et la saturation de la proche banlieue expliquent aussi très largement ces mouvements. Cette dilatation de l’espace autour des centres villes n’est pas nouvelle, rappelle Jean-Marc Offner, directeur de l’agence d’urbanisme de Bordeaux Aquitaine, et président de l’École urbaine de Sciences Po. « Dès le XIXe siècle, les transports modernes, le tramway à Paris, le métro à Londres, ont en quelque sorte inventé la banlieue en permettant la dissociation entre espaces où l’on habite et espaces où l’on travaille ».

Vers de nouvelles centralités

Mais peut-on encore parler de périphérie alors que la croissance des villes se joue désormais largement hors de leur centre historique ? Pour Thierry Paquot(3), philosophe de l’urbain, auteur de l’ouvrage Mesures et démesure des villes, le sujet mérite largement d’être revisité : « Le périurbain est devenu synonyme de banlieue, ce territoire où résident les « navetteurs ». Pour le dire autrement, la ville sort de ses limites administratives, « parasitée » par des pavillons édifiés sans plan d’urbanisme. Comment nommer cette réalité urbaine ? Banalement, en disant qu’elle est à la périphérie. Mais est-ce bien cela ? Non, puisqu’en même temps et aussi grâce à l’automobile, le centre commercial s’y installe et décentre la ville qui perd son centre et se périphérise ! ». Jean-Marc Offner va plus loin, en constatant que le périurbain tend aujourd’hui à s’autonomiser. Des services, des commerces, des emplois s’y sont peu à peu installés. « Cela leur permet de vivre sur eux-mêmes. Pour les habitants, aller dans le centre n’est plus une nécessité quotidienne ».

De nouvelles centralités « satellites » sont ainsi en train de voir le jour. L’enjeu ? Les doter de réseaux de transports collectifs privilégiant celles qui concentrent suffisamment de flux et de services pour que cette offre de transport soit pertinente. Une ambition qui pose la question de la gouvernance et du bon maillon pour gérer ces problématiques de flux.
Et demain ? la ville aura-t-elle encore des frontières ? Pour Thierry Paquot(4), « l’urbanisation française récente confirme, à la fois, l’éparpillement de la ville au-delà de ses limites administrativo-historiques, et la revitalisation de certains centres. L’urbain résulte de ces diverses morphologies et de cet assemblage, pas toujours évident, de modes de vie dominés par le paradoxe (je veux être en ville mais à la campagne, seul mais en contact avec la foule, dans le silence mais aussi le bruit…) ». C’est dans ce va et vient, cette circulation, que se joue le futur urbain.

Frontières spatiales

 

Repenser les flux périurbains

Depuis les années 1960, l’accès facile au crédit, l’essor de la voiture individuelle, la disponibilité du foncier ont donné naissance en France à de multiples espaces périurbains. En périphérie de la ville ancienne, en bordure de champ, aux frontières des villes de toute taille, cette périurbanisation pensée pour la voiture individuelle a généré de nouveaux flux, entre domicile, travail et services. Et ces flux ont eux-mêmes évolué.

 

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Aujourd’hui, résider dans un espace périurbain plutôt qu’au centre d’une agglomération, c’est d’abord consacrer davantage de temps qu’un citadin de l’hypercentre à son trajet domicile-travail : hors Île-de-France, un périurbain parcourt chaque jour en moyenne 23 kilomètres(5) de plus qu’un résident du centre-ville ; en Île-de-France, son trajet s’allonge de 30 kilomètres par rapport à celui d’un Parisien.

Face aux coûts sociaux et environnementaux de cette mobilité périurbaine, de nouveaux modèles émergent. Dans une étude publiée en 2020 sur la réinvention de la mobilité dans le périurbain, le think tank Terra Nova évoque la ‘maturation du périurbain’ et propose d’aller vers un urbanisme de la proximité, notamment en réduisant les distances nécessaires à toutes les activités de la vie quotidienne et en apprenant à considérer la mobilité comme un bien rare. Pour transformer en profondeur un périurbain ‘à la française’ dont le modèle n’est plus soutenable, le think tank préconise aussi de faciliter le passage de la voiture individuelle à des transports actifs (vélo, vélo cargo, marche) et partagés (transports collectifs).

Le village rural de Savignyle- Temple, en Seine-et-Marne, à 30 kilomètres de Paris, a connu une croissance très rapide après son rattachement à la ville nouvelle de Sénart.

Frontières sociales

Le centre et la périphérie

Le concept de « banlieue » tel qu’il est utilisé couramment pour évoquer la périphérie des métropoles européennes désigne le plus souvent (sauf lorsque l’on précise ‘banlieue chic’) des quartiers cumulant les difficultés sociales et économiques. Vivre en banlieue, c’est vivre loin des richesses et des opportunités, d’emploi, d’éducation, de services marchands ou publics, d’offre culturelle dont le centre a le monopole. C’est aussi parfois, être stigmatisé. Mais ce modèle n’a rien d’universel.

 

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Aux États-Unis, les banlieues (suburbs) symbolisent depuis la seconde moitié du XIXe siècle, le rêve américain, une maison confortable, une ou plusieurs voitures, un quartier sûr et aéré, de bonnes écoles. D’abord purement résidentiels, ces territoires suburbains ont créé leur propre centralité et leur propre dynamique économique, avec des zones de bureaux et des centres commerciaux. « Tout se passe comme si la vie urbaine américaine la plus dynamique s’était déplacée dans ces espaces au point d’en effacer le caractère périphérique », résume le géographe et chercheur Hervé Vieillard-Baron.

La frontière sociale ainsi tracée entre riches et pauvres est à l’inverse exact du modèle européen. Les classes aisées vivent dans ces zones suburbaines et accèdent en voiture individuelle aux emplois, aux services et aux commerces. Et la mobilité joue un rôle central dans les inégalités sociales : la population la plus pauvre, non motorisée, cantonnée dans les quartiers populaires des inner cities, peine à accéder aux emplois présents dans des pôles suburbains qui ne sont pas desservis par les transports publics.

À Kenilworth, banlieue de Chicago, le revenu annuel moyen des ménages est de 241 591 dollars, contre 66 097 dollars pour les habitants du centre-ville.

Frontières générationnelles

Jeunes, périurbains et mobiles, même la nuit

Sortir le soir : pour un jeune, franchir cette frontière symbolique, c’est faire un pas décisif vers l’autonomie. Mais ce pas est difficile à accomplir pour ceux qui vivent dans les espaces périurbains les plus éloignés, en limite des zones rurales. Peu ou pas motorisé, comment s’extraire de ce « piège spatial » pour une séance de cinéma ou une soirée bowling ? « Entre débrouillardise et essai d’organisation, les espaces périurbains sont des laboratoires de gestion de la nuit tant pour les politiques que pour les jeunes eux-mêmes », note la géographe Catherine Didier-Faivre.

 

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Autostop vers la gare la plus proche, covoiturage, parents-taxis, trajets à pied : les stratégies individuelles ne manquent pas pour pallier l’absence d’offre de transport public nocturne dans le grand périurbain. Certaines collectivités proposent des solutions comme Rezo Pouce, une application permettant de faire du stop de façon sécurisée, et de plus en plus de villes ont pris conscience qu’une vie nocturne dynamique et maîtrisée était un facteur d’attractivité. Si la majorité des lignes de bus de nuit se limitent encore à la desserte des quartiers festifs et des résidences universitaires, les tracés élargis de lignes classique et le transport à la demande se développent, comme en témoigne l’exemple de la communauté d’agglomération du Havre. De quoi commencer à réduire le fossé entre les jeunes urbains et leurs pairs plus éloignés du centre-ville.

Le service Rezo Pouce est né au sein de la communauté d’agglomération du Grand Montauban.

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