Qualité de villes, le magazine du groupe RATP qui donne à voir LA VILLE AUTREMENT.

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Mémoire

Des pavés et des plantes

Si la présence de la nature en ville ne date pas d’hier, nos attentes à son égard et nos manières de vivre avec elle ont évolué à travers les siècles. De quelle manière ces transformations éclairent-elles la tendance actuelle à la végétalisation ? C’est la question que nous avons posée à Émilie-Anne Pépy et Charles-François Mathis, auteurs de La Ville végétale. Une histoire de la nature en milieu urbain (France, XVIIe – XXIe siècle).

5 millions

Aujourd'hui, les 50 plus grandes villes de France dépensent en moyenne 5 millions d'euros par an pour la création et l'entretien d'espaces verts.

En traversant quatre siècles de nature en ville, des filiations comme des ruptures se font jour. C’est par exemple le cas de l’approche sanitaire, née au XVIIIe siècle, estimant que l’air de la ville est malsain et qu’il faut l’assainir par l’intermédiaire des arbres. Comme un écho à l’argument actuel de la qualité de vie en ville prodiguée par la végétalisation.

Côté transformations, jusqu’au XIXe siècle, « la ville est revendiquée comme un lieu artificiel, celui de l’anti-nature, explique Charles-François Mathis. À partir du XIX e siècle, on considère que c’est problématique et la végétalisation s’accroît. Elle est d’ailleurs facilitée par le pouvoir en place : Napoléon III impose une politique urbaine accroissant la place de la nature et ouvrant plus largement son accès à la population. »

200 m2

En France la superficie moyenne d'espaces verts par habitant s'élève à 31m2. Besançon atteint un record de 200m2 d'espaces verts par habitant, quand Paris plafonne à 14m2.

Cette exigence de végétalisation va augmenter au XXe siècle, mais elle va en quelque sorte se dénaturer : « on recherche la quantité et non la qualité. Cela se traduit, caricaturalement, à travers les immenses pelouses des grands ensembles de l’après-guerre. Mais, ces quarante dernières années, on perçoit un changement avec le renouveau de la pensée écologique. La nature n’est plus réifiée, les plantes ne sont plus conçues comme du mobilier urbain.

Ensuite, dans la mouvance de la “guérilla jardinière” née dans les années 1970 à New York, on voit que les citoyens investissent de plus en plus la végétalisation des espaces publics. On passe d’une action très verticale – le pouvoir politique choisissait les lieux à verdurer – à une action horizontale, liée aux nouvelles attentes des habitants. »

Ces appels forts pour plus de verdure se confrontent néanmoins à divers points d’achoppement. Notamment, comme le souligne Émilie-Anne Pépy, « ce partage de l’espace interroge ce qu’est la ville. Quelle identité reste-t-il de la ville si elle est envahie de nature ? Ce traitement moins artificiel de la ville pose la question de savoir quelle place on laisse à la nature, donc à l’imprévu. » Par ailleurs, cette présence accrue d’espaces végétalisés influence-t-elle nos manières de nous déplacer ?

Quand Charles-François Mathis a l’intuition que ces ambiances pourraient nous inciter à modifier nos trajets, en marchant plus volontiers, Émilie-Anne Pépy note qu’à contrario des études ont montré que les femmes ont tendance à éviter les espaces verts la nuit, car ces zones sont ressenties comme peu sûres. Entretien, accès, éclairage, ambiance : une certitude, la « grande » nature en ville ne peut être laissée en autonomie, et une végétalisation ambitieuse implique un réel investissement.

Les auteurs

Normalienne, agrégée et docteure en histoire, Emilie-Anne Pépy est maître de conférence en histoire moderne à l’université Savoie-Mont-Blanc.

Normalien agrégé et docteur en histoire, Charles-François Mathis, est maître de conférences en histoire contemporaine à l’université Bordeaux-Montaigne.

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