En regroupant dans une même application mobile un calculateur d’itinéraire, un portail vers les offres de transport public et privé d’un territoire et un moyen de paiement, les plateformes MaaS permettent à la mobilité urbaine d’entrer dans l’ère des services et aux utilisateurs de prendre les commandes. Créer des parcours fluides et « sans couture » exige que les plateformes digitales des uns et des autres soient techniquement interopérables et utilisent des standards communs sécurisés. Quant à l’interconnexion physique entre modes, elle doit refléter fidèlement ce que proposent les applis MaaS. Ce qui suppose une approche intégrée, conjuguant transports, urbanisme et services, reposant sur de nouvelles formes de gouvernance partagée. En France, le groupe RATP est l’un des pionniers du MaaS et depuis novembre 2020, i la acquis Mappy, numéro trois de la mobilité du quotidien en France après Google Maps et Waze, avec l’ambition de développer un leader 100 % français de la mobilité digitale.
« La valeur de la donnée, c’est le service que l’on est capable de produire à partir d’elle. »
La transition numérique est-elle une vraie rupture pour le groupe RATP ?
Pas tant que cela. Le Groupe a toujours su anticiper les enjeux technologiques, son histoire le prouve. L’enjeu digital n’est qu’un défi de plus, un défi culturel, d’évolution de nos modes de travail et de conception. Nous le relevons avec un plan de transformation numérique ambitieux, en cours depuis trois ans.
Quelle est l’ambition en matière de stratégie numérique ?
Devenir le leader de la mobilité connectée, avec deux points de différenciation forts. Nous promouvons une mobilité durable, qui permet à la ville de se désengorger, de moins polluer. Et nous avons la capacité à accompagner les usages digitaux en cohérence avec le monde physique, ce qui n’est pas le cas de tous les acteurs. Prendre en charge, pour les voyageurs, la complexité de l’intégration multimodale, c’est s’assurer que ça fonctionne dans la vraie vie ! C’est ce que nous avons fait à Annemasse, avec une application MaaS coconstruite, au sein d’un écosystème public-privé tout à fait unique en France.
La ville numérique se nourrit de données. Quelle est votre vision sur la bonne gestion de cette ressource ?
Je distinguerai trois grandes familles. D’abord, ces données qui permettent de mieux informer les voyageurs et sont un stimulant pour l’écosystème de mobilité. Nous avons été les premiers à les ouvrir, dès 2012, en allant au-delà de ce que nous demande la réglementation. Ensuite, les données d’exploitation,
qui relèvent de la sécurité des personnes et du secret des affaires que nous protégeons. Enfin, des données entre ces deux mondes, susceptibles d’être échangées avec d’autres opérateurs, dans le cadre de la coconstruction d’un service. Mais au final, n’oublions pas que la valeur de la donnée, c’est le service que l’on est capable de produire à partir d’elle.
Autour des sujets d’innovation urbaine, espace public, participation citoyenne et initiatives privées entretiennent un dialogue. Aux avant-postes de la smart city, Barcelone a créé dès 2008 son Urban Lab pour permettre aux entre-preneurs de tester dans l’espace public leurs idées en faveur de l’amélioration de la vie en ville. Lorsqu’un projet est retenu, l’Urban Lab identifie les quartiers où il peut être testé et met en contact les innovateurs avec les services municipaux en charge de ces secteurs. Depuis 2008, quelque 80 projets ont été proposés et un quart d’entre eux testés dans les rues de la ville. Parmi les innovations dont l’Urban Lab a permis l’éclosion, nombreuses sont celles liées à la mobilité : collecte de déchets intelligente pour optimiser les déplacements, appli mobile pour repérer les places de parking disponibles, ou encore suivi en temps réel du trafic automobile pour permettre une meilleure gestion de la circulation par les autorités locales.
« La technologie est nécessaire mais ne suffit pas à faire le bonheur des villes »
Quelles sont les smart cities d’aujourd’hui ?
Les plus grandes smart cities sont disséminées à travers le monde : Barcelone, Vienne, Paris, Copenhague, New York, Singapour, Séoul… Mais nous constatons également aujourd’hui la coexistence de divers modèles de smart cities qui n’accordent pas la même importance à certains éléments de la ville intelligente : en Europe du Nord, l’accent est mis sur la durabilité ;
en Asie, la composante technologique est évidente ; d’autres métropoles choisissent quant à elles de développer ou d’appliquer une stratégie plus transversale, comme Paris, la « ville du quart d’heure », qui mise sur l’hyperproximité dans un périmètre de 15 minutes de déplacement, ou l’humanisme technologique de Barcelone.
Comment mettre les systèmes intelligents au service des citadins ?
La technologie, prépondérante dans nos vies, et notamment nos vies urbaines, est essentielle pour améliorer la vie urbaine et donner du pouvoir aux citoyens, mais ne doit pas restreindre la liberté d’expression, la créativité, l’art et tout ce qui rend les villes inspirantes, dynamiques, passionnantes et attractives.
La source de l’intelligence n’est pas la ville, mais l’homme : c’est cette humanisation que nous devons renforcer si nous voulons des villes vraiment intelligentes à l’avenir.
Paris, 13e arrondissement, quartier Paris Rive gauche. C’est ici, in vivo, le long de l’avenue Pierre-Mendès-France et de la gare d’Austerlitz et autour de la Bibliothèque nationale de France que se déploie « Paris2Connect ». Le projet est l’un des 15 lauréats 2018 de l’appel à projets « Quartier d’innovation urbaine pour Paris Rive gauche » lancé par la Ville de Paris. « Paris2Connect » est porté par un groupement d’acteurs du privé, du public et de start-up. Le groupe RATP y participe, aux côtés d’ATC France, d’Audiospot, d’Aximum, de Nokia, de Parking Map, ou encore de Signify (ex-Philips Lighting).
Trois axes de travail ont été retenus : le transport autonome, l’infrastructure intelligente (carrefours, éclairage, parkings et signalétique) et l’expérience utilisateurs (accessibilité, attractivité et animation de l’espace public). Le Groupe, qui a déjà mené avec succès des expérimentations de navette autonome en France et aux États-Unis, apporte un cas d’usage autour du véhicule autonome.
« Nous regardons la ville sur le long terme et de façon systémique. »
Le Groupe se positionne-t-il très en amont sur les sujets d’innovation dans la ville ?
Effectivement, le pôle dont j’ai la charge ne travaille pas sur des sujets directement opérationnels mais bien sur le temps long. Notre approche est systémique et va au-delà des seules plateformes que l’on évoque généralement quand on parle de la ville numérique. Nous regardons plutôt comment utiliser les technologies numériques pour optimiser les frontières entre le transport public et les autres systèmes urbains.
C’est notamment l’objet du partenariat noué avec le Massachusetts Institute of Technology (MIT) ?
Nous venons d’achever avec le MIT une première année de collaboration sur les smart curbs. Les curbs, c’est ce qui s’étend entre trottoir et voirie, à la frontière entre le bâti et les flux de circulation. Nous voulons mieux comprendre les usages de ces espaces publics rares, hypersollicités. Le projet Paris2Connect est un autre exemple de l’intérêt que nous portons aux usages. Grâce aux caméras et capteurs équipant le périmètre retenu pour Paris2Connect, nous allons mieux comprendre ce qui se joue réellement dans la rue.
Vous travaillez également avec le monde universitaire français. Pouvez-vous nous parler de la chaire créée avec l’École nationale des ponts et chaussées ?
Cette chaire s’intitule « Quelle régulation pour la ville de demain ? » Ses travaux ont démarré sur un premier sujet, le MaaS, avec deux laboratoires de l’école, l’un spécialiste de la mobilité, l’autre des politiques publiques.
Plusieurs ateliers ont déjà réuni des acteurs du Groupe et des chercheurs. Leur ambition : explorer la façon dont les régulateurs, les décideurs peuvent utiliser le MaaS, cet outil qui voit converger le rôle régalien des collectivités, l’apport des opérateurs et les usages finaux.