Vous parlez d’urgence à adopter des stratégies d’adaptation face aux changements climatiques. L’atténuation de notre empreinte serait-elle obsolète ?
S.M. En 2015, lors de la COP 21, quand le sujet du changement climatique a véritablement émergé auprès du grand public, l’objectif était uniquement de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Désormais on sait qu’il faudra, sans réduire les efforts sur l’atténuation, également s’adapter rapidement et en profondeur car les effets de l’anthropocène auront dans tous les cas des conséquences qu’il faut anticiper.
Notre modèle doit donc devenir compatible, urgemment, avec les enjeux actuels et veiller notamment à respecter le « plafond environnemental », théorisé par Kate Raworth, composé de neuf champs limités et interdépendants (le grand cycle de l’eau, la biodiversité, la pollution de l’air, etc.) sans pour autant percer le « plancher social », c’est-à-dire nos acquis : éducation, égalité, santé, accès à la nourriture, etc.
« Les solutions existent déjà pour aller vers les territoires durables »
Si l’enjeu est d’accélérer, comment les villes et territoires doivent-ils procéder ?
S.M. En activant les leviers que nous identifions dans notre manifeste (1), à commencer par la sobriété. Elle représente un changement majeur de paradigme puisqu’il s’agit de faire moins mais mieux, voire de ne pas faire du tout quand ce n’est pas prioritaire. Mais c’est une solution très efficace, qui ne coûte pas mais permet des économies, et aux effets immédiats ! Ensuite, en se transformant pour limiter leurs vulnérabilités face à ce monde qui va changer rapidement : c’est la résilience. Sur toutes les dimensions du territoire, l’enjeu est de faire évoluer les fonctionnements pour être moins sujets aux conséquences des crises. Pour schématiser, dans le domaine du risque d’inondation par exemple, on doit passer d’une philosophie qui visait à construire des digues toujours plus hautes, à l’acceptation de la présence de l’eau : alors, on rend les infrastructures résilientes.
Il y a également le levier de l’inclusion, à la fois sociale et démocratique. Parce qu’il ne peut y avoir de transformation écologique si les plus vulnérables sont laissés de côté. La question de la justice sociale dans les efforts à réaliser doit donc être centrale. Tout le monde doit être autour de la table pour imaginer les solutions propres à chaque territoire. L’esprit originel de la Convention Citoyenne pour le Climat, où les citoyens sont formés pour être en mesure de réfléchir aux solutions, est une très bonne piste. Enfin, quatrième levier : la créativité, qui implique intelligence collective et discernement technologique pour éviter de réinventer la roue, ou de courir après l’innovation quand elle n’est pas nécessaire. Surtout, pour aller vite et engager rapidement les solutions.
(1) Sobriété, inclusion, résilience et créativité : les fondamentaux de la ville qui prend soin, France Ville Durable.
Avez-vous des exemples d’accélérations réussies ?
S.M. La Communauté d’Agglomération d’Argentan, qui a eu le courage de faire de la sobriété un objectif. Parmi ses actions, il y a par exemple des choses très simples comme l’extinction de l’éclairage public la nuit ou plus complexes comme le regroupement de deux groupes scolaires dans un bâtiment existant, ce qui a évité d’en construire un nouveau.
Autre exemple, l’éco-village des Noés construit par Philippe Madec à Val-de-Reuil (27). 120 logements en matériaux 100% bio-sourcés, des constructions passives alimentées par une chaufferie à bois et dont les habitants se disent très heureux. Car la sobriété n’est pas un renoncement, elle est au contraire la plupart du temps synonyme d’amélioration de la qualité de vie.